Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/159

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polythéiste, l’heure a sonné pour une religion quand la conscience troublée vient à se demander, non pas si cette religion est vraie : le doute frappant sur le dogme ne suffit pas pour faire tomber une religion ; — non pas davantage si elle a besoin de réformes : les réformes en matière de foi prouvent la vitalité religieuse ; — mais si cette religion, réputée si longtemps la gardienne et le soutien des mœurs, suffit à sa tâche, ce que je traduis en autres termes, si elle a véritablement une morale.

C’est par là, vous le savez, Monseigneur, que périt le paganisme. Ni les platoniciens et les sceptiques, ni l’école du Portique ou celle d’Épicure, ni la critique chrétienne elle-même, en tant qu’elle s’attachait aux fables, ne suffirent à l’enlever. Il s’écroula le jour où toutes les intelligences furent saisies de cette idée, que le paganisme n’avait point de morale, qu’il était immoral.

Ainsi en sera-t-il tout à l’heure du royaume messianique. Je suis la voix qui, après tant et de si fatigantes controverses, demande, au nom de la conscience universelle, non plus si la foi est d’accord avec la raison, s’il y a des abus à corriger dans l’Église, si le clergé a des mœurs édifiantes, etc. : — il ne s’agit plus, pour notre époque, de la métaphysique du dogme, pas plus que de la vie privée des prêtres ; — mais si le christianisme possède une morale, ce qui est tout autre chose.

Et je réponds avec tristesse, comme le président de la Convention prononçant le verdict de culpabilité contre Louis XVI : Non, le christianisme n’a point de morale ; il ne peut pas même en avoir une…. Puis donc qu’après dix-huit siècles d’existence l’Église chrétienne se trouve dans le même cas où se trouva, après deux mille ans de durée, l’église polythéiste, qui périt parce qu’elle n’avait point de morale, elle est perdue.