Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/331

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il est impossible, à priori et de par la théorie pure, de dire à qui doit être attribuée la rente, du propriétaire ou du travailleur.

M. Blanc Saint-Bonnet voit dans la rente la source des capitaux. « La propriété, dit-il, est le réservoir du capital. » Cette théorie de la formation des capitaux prend sous sa plume un air mystique qui en fait presque un huitième sacrement. Soit : je ne réfuterai pas une idée plus vieille qu’Ésope, et dont l’analyse a démontré de nos jours la pauvreté et l’insuffisance. Reste à savoir à qui sera attribué le capital.

Au fond, et à considérer le fait dans sa primitivité, la rente est la récompense du travail ; elle est son salaire légitime, elle lui appartient. Il ne vient pas à l’esprit du sauvage, quand il a tué un daim et qu’il se dispose à le manger avec sa famille, de faire deux parts de sa chasse et de dire : Ceci est ma rente, ceci est mon salaire. Et si, en raison du conflit économique et de l’exercice de la propriété, la coutume s’est établie parmi les propriétaires et entrepreneurs de réduire à la plus mince expression le salaire de l’ouvrier, afin de grossir d’autant leur rente, il ne faut pas s’imaginer pour cela que la rente soit donnée dans la nature des choses, au point que l’on puisse sans difficulté la reconnaître, comme on reconnaît un noyer au milieu d’une vigne. En fait, salaire et rente, à l’origine, se confondent ; et s’il fallait, à priori, décider à qui cette dernière, dans le cas où elle existe, doit être adjugée, la présomption serait acquise au travailleur.

En effet, on admet en principe que tout travail entrepris dans de bonnes conditions doit laisser au travailleur, en sus d’une consommation modérée, un excédant, une rente. La raison en est que la consommation elle-même est variable ; que, les premiers besoins satisfaits, il s’en manifeste d’autres, de plus en plus raffinés et coûteux,