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lignée à laquelle j’ai le malheur d’appartenir : Il y avait une goutte de mauvais sang chez les Proudhon ; elle a passé de ce côté-là. Ce qu’il en disait du reste ne venait pas de malveillance, tant s’en faut : jamais il ne refusa service ni conseil à ces entêtés plaideurs de la branche cadette ; c’était impatience pure. Quant à lui, il aimait mieux se laisser voler que plaider : il pouvait perdre.

J’ai entendu ce propos, que j’étais jeune gars. La goutte de mauvais sang ! Vous comprenez, Monseigneur, ce que cela veut dire : toute la doctrine de la prédestination est là. C’est cette idée funeste qui, infiltrée dans l’âme des nations, rend raison de leurs luttes, et donne le mot du gouvernement providentiel. Ainsi donc, moi et ceux de ma branche, nous étions prédestinés à la pauvreté, prédestinés à la révolte, prédestinés aux procès, à la prison, prédestinés de l’Antéchrist ! Vous figurez-vous l’effet de cette sentence, rendue par un jurisconsulte célèbre, qui avait porté la soutane encore, sur un cerveau de treize ans !

XXXVIII

Au fond, il y avait quelque chose de vrai dans l’idée du professeur : je m’en suis aperçu. J’étais allé passer une semaine de vacances à la montagne avec mes cousins de la gauche. Le hasard voulut que nous nous trouvassions logés dans une grange qu’habitait une autre famille de cousins, mais de la droite. Tous les soirs on faisait en commun la prière. Un jour, dans un accès de dévotion, celui qui en était chargé, — c’était un cousin de la droite, — commença une enfilade de pater et d’ave pour une multitude de grâces spéciales dont il pensait que chacun des assistants devait sentir autant que lui-même l’urgence et le prix : un pater et un ave pour obtenir la grâce de ceci, un pater et un ave pour obtenir la grâce de cela. On était à cinq, et la kyrielle ne finissait