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chimie, et dans toutes les sciences. Grâce à ce réalisme de la Justice et de l’économie, la société n’est plus une fantasmagorie arbitraire, une figure passagère, transit figura hujus mundi ; c’est une création, un monde. Quant au laissez faire, laissez passer, il ne peut plus s’entendre que relativement aux forces mêmes et aux lois de l’économie, lesquelles excluent toute coercition et restriction.

Maintenant je poursuis :

Qu’est-ce que le pouvoir dans la société ? Qu’est-ce qui produit le gouvernement, et qui donne naissance à l’État ? L’idée politique répond-elle, comme l’idée juridique et l’idée économique, à une réalité sui generis, ou bien n’est-ce encore qu’une fiction, un mot ?

Suivant l’Église et toutes les mythologies, le pouvoir social n’a pas sa base dans l’humanité ; il est de constitution divine. Suivant les philosophes, qui essayèrent de déterminer les conditions du gouvernement, il résulterait de l’abandon que chaque citoyen fait d’une partie de sa liberté : ce serait le produit d’une renonciation, par lui-même rien.

De là cette instabilité fatale, fort bien aperçue par les philosophes, et d’autant plus grande, plus incoercible, que le gouvernement, qui n’existe que par mandat de liberté, aurait précisément pour objet de protéger, contre la liberté et la Justice, l’inégalité économique, un ordre de choses essentiellement instable.

Je n’ai plus besoin d’insister sur l’immoralité et l’absurdité profonde d’une pareille théorie, dont le dernier mot a été dit par Machiavel.

Quelques hommes, dans ces derniers temps, paraissent avoir senti l’insuffisance radicale de toutes ces conceptions. « Sans l’individu, ont-ils dit, sans la liberté, le gouvernement, la société elle-même, ne sont assurément rien ; mais ne peut-on dire aussi que, la société une fois