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Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/95

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entretenu par la faiblesse d’âme des philosophes, est entré avant dans la conscience des hommes ! On sait par quel saut de carpe l’incomparable Kant, après avoir renversé par sa Critique de la Raison pure toutes les prétendues démonstrations de l’existence de Dieu, l’a retrouvée dans la Raison pratique. Descartes, avant lui, était arrivé au même résultat ; et c’est merveille de voir les derniers disciples de ce métaphysicien acrobate rejeter l’autorité de l’Église, la révélation de Jésus, celles de Moïse, des patriarches, de Zoroastre, des Brachmanes, des Druides et tout le système des religions, et affirmer ensuite, comme fait de psychologie positive, la révélation immédiate de Dieu dans les âmes.

Suivant ces messieurs, Dieu se manifeste directement à nous par la conscience ; ce que l’on appelle sens moral est l’impression même de la Divinité. Par cela seul que je reconnais l’obligation d’obéir à la Justice, je suis, à les entendre, croyant malgré mes dents, adorateur de l’Être Suprême, et partisan de la Religion naturelle. Le Devoir ! il suffit que je prononce ce mot pour attester, contre mon envie, que je suis double : Moi, d’abord, qui suis lié par le devoir ; et l’Autre, c’est-à-dire Dieu, qui a formé ce lien, qui s’est établi dans mon âme, qui me possède tout entier, qui, lorsque je m’imagine en suivant la loi morale faire acte d’autonomie, me conduit, sans que je m’en aperçoive, par son impérieuse suggestion.

En vérité, il faut que ces doctrinaires de la Foi nous prennent pour de grands enfants, de croire que nous rirons avec eux du miracle de la Salette, et que nous accepterons celui bien plus énorme de leur théodicée. La possession divine, imaginée en désespoir de cause par une école timide, est le dernier hoquet de la superstition transcendante, que dis-je ? elle est déjà la formule déguisée de la vraie philosophie, et pitié pour celui qui s’y trompe.