Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/101

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l’enfant aime sa nourrice, moins occupé de ses charmes, dont le sentiment ne lui est pas étranger cependant, que de sa fécondité. Ce n’est pas lui qui tombera en extase devant la campagne de Rome, ses lignes majestueuses et son superbe horizon ; comme le prosaïque Montaigne, il n’en apercevra que le désert, les flaques pestilentielles et la mal’aria. Il n’imagine pas qu’il existe de poésie et de beauté là où son âme ne découvre que famine, maladie et mort : d’accord en cela avec le chantre des Géorgiques, qui, en célébrant la richesse des campagnes, n’imagina point sans doute, avec les rimeurs efflanqués de notre temps, qu’elle en fût l’élément antipoétique. Le paysan aime la nature pour ses puissantes mamelles, pour la vie dont elle regorge. Il ne l’effleure pas d’un œil d’artiste ; il la caresse à pleins bras, comme l’amoureux du Cantique des cantiques : Veni, et inebriemur uberibus ; il la mange. Lisez Michelet racontant la tournée du paysan, le dimanche, autour de sa terre : quelle jouissance intime ! quels regards !… Il m’a fallu du temps et de l’étude, je l’avoue, pour trouver de l’agrément à ces descriptions de lever et de coucher de soleil, de clairs de lune et des quatre saisons. J’avais vingt-cinq ans que le précepteur d’Émile, le prototype du genre, ne me paraissait encore, en ce qui regarde le sentiment de la nature, qu’un maigre fils d’horloger. Ceux qui parlent si bien jouissent peu ; ils ressemblent aux dégustateurs qui, pour apprécier le vin, le prennent dans l’argent et le regardent à travers le cristal.

Quel plaisir autrefois de me rouler dans les hautes herbes, que j’aurais voulu brouter, comme mes vaches ; de courir pieds nus sur les sentiers unis, le long des haies ; d’enfoncer mes jambes, en rechaussant (rebinant) les verts turquies, dans la terre profonde et fraîche ! Plus d’une fois, par les chaudes matinées de juin, il m’est