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XXII

Oh ! la question est très-simple : elle se réduit à dire qu’après la période d’anthropophagie, les premières lueurs de la morale ayant fait cesser le massacre des gens et la manducation des cadavres, l’expérience ayant aussi révélé le parti qu’on pouvait tirer de la terre par le travail, les plus forts y appliquèrent les plus faibles, et que la religion consacra cette première servitude, en donnant, à la fois, au maître des garanties contre l’esclave, à l’esclave des garanties contre le maître. Telle fut la loi d’égoïsme, par laquelle l’homme, faisant d’un autre homme son serviteur, son organe, s’attribuait d’autorité divine et humaine tout ce que cet homme était capable de produire, ne lui laissant, comme à une bête de somme, que ce qui était indispensable pour subsister.

Dans la religion instituée par Moïse, où l’unité de Dieu était de dogme, il ne paraît pas qu’il y ait eu une divinité particulière pour les esclaves : c’était toujours Jéhovah, mais sous un autre nom, Schaddaï.

Schaddaï, c’est-à-dire le Casseur de mottes, est le Siva hébreu, l’ancien dieu des Israélites, sous la puissance duquel ils avaient vécu en Égypte. Aussi quand Jéhovah envoie Moïse pour délivrer son peuple, il lui dit : Jusqu’à présent ils n’ont connu que Schaddaï, le Casse-motte, c’est-à-dire la servitude ; maintenant ils connaîtront Jéhovah, ce qui voulait dire la richesse et la liberté. Partout, dans la Bible, Schaddaï est le dieu du malheur, celui qui afflige les hommes, comme des esclaves attachés à la glèbe. Il n’est question que de lui dans Job, le Pleureur, victime innocente de Schaddaï. Il faut voir, dans le Deutoronome, chap. 32, avec quel mépris Jéhovah traite les dieux des nations : il les appelle des Schedim, pluriel de Schaddaï, c’est-à-dire des dieux d’esclaves,