Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/46

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C’est de la morale en mythe, comme le discours du serpent à Ève et le sacrifice d’Abraham. Entre Moïse faisant parler Jéhovah comme un préteur romain sur son tribunal, Tu ne tueras pas, Tu ne voleras pas, Tu ne feras point de faux témoignage, et le Christ priant son Père, il y a aussi loin qu’entre les légendes d’Hercule, Persée, Bellérophon, chantées par les poëtes, et la guerre du Péloponèse, racontée par Thucydide.

Est-il donc si difficile de comprendre que l’homme qui prie Dieu est comme le poëte qui invoque la muse, celui-ci faisant appel à son génie, celui-là à sa conscience ? Depuis le vieil Homère, et probablement dès longtemps avant Homère, nous ne sommes plus dupes de la fiction poétique ; le serons-nous encore longtemps de la fiction sacerdotale ? Notre raison n’a rien perdu, certes, pour s’être mise à parler en prose ; avons-nous peur que notre sens moral ne succombe parce que nous cesserons de réciter des patenôtres ?

Lorsque Sapho, dans son ode à Vénus, conjure la déesse de la beauté de lui ramener son amant infidèle, et qu’elle lui dit : Combats avec moi ; c’est comme si elle parlait à son propre sexe, dont l’invincible attrait est méconnu dans sa personne. Lorsque Hippocrate, dans ce magnifique serment qui est comme l’hymne de la conscience médicale, invoque Hygie, Esculape, toutes les divinités de la médecine, c’est comme s’il jurait sur sa propre vie, dont les mystérieuses puissances font l’objet de son étude. Lorsque Socrate recommande à son disciple Antisthène de sacrifier aux Grâces, c’est comme s’il lui disait : Il est permis au philosophe d’être pauvre ; il ne l’est jamais d’être malplaisant et malpropre. Le culte chrétien ferait-il exception à cette série ? Mais sur quoi donc en établissez-vous la preuve ?