Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/491

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dans sa tendance réaliste et scientifique, ne se mit à chicaner l’auteur sur la prescience divine et la damnation. C’est là, en effet, qu’était le péril pour Leibnitz ; mais c’est là aussi qu’est la sottise de ses adversaires. Au lieu de risquer sa religion, le grand homme aima mieux risquer sa philosophie : cette reculade a peut-être coûté au monde cent cinquante ans.

Puisque Leibnitz faisait tant que d’éliminer l’absolu de la nécessité et du franc arbitre, il devait, pour être conséquent et au risque de passer pour athée, l’éliminer de partout. Sa pensée alors eût scandalisé le monde, mais elle l’aurait dominé. Au lieu de cela, Leibnitz s’efforce de rétablir l’absolu, en Dieu d’abord, dont il reconnaît l’infinité en tout attribut ; puis dans l’univers, qu’il soutient être le meilleur possible, ce qui devant la logique équivaut à la nécessité même. Cet absolutisme accordé, tout est prévu dans l’univers, le grand organisme ; tout est préordonné, prédestiné, harmoniquement préétabli, et nous retombons dans tous les inconvénients et toutes les contradictions de Spinoza. Que Leibnitz distingue tant qu’il voudra la nécessité métaphysique, la nécessité géométrique, la nécessité hypothétique ou contingente, la nécessité morale : l’enchaînement de toutes ces nécessités, sur lesquelles le monde est bâti, n’en constitue pas moins une nécessité absolue, au sein de laquelle toute action ou liberté propre s’évanouit. La faculté de choisir, que Leibnitz attribue à l’homme, malgré la multitude des influences qui le déterminent, se réduit à un simple vote, moins que cela, à la conscience de ses actes, à la conformité de sa volonté avec l’ordre de Dieu, avait dit Descartes. Leibnitz, en un mot, après avoir rendu la liberté possible, l’annule aussitôt par son meilleur des mondes, et par l’embarras où il est de trouver à cette liberté un emploi. L’homme sait qu’il est nécessité tandis que le