Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/522

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cordés comme les tuyaux d’un orgue, ou si ce n’est pas plutôt un effet d’équilibre entre forces antagoniques.

Quant à moi, mon opinion ne saurait être douteuse : ce qui rend la création possible est à mes yeux la même chose que ce qui rend la liberté possible, l’opposition des puissances. C’est avoir une idée très-fausse de l’ordre du monde et de la vie universelle, que d’en faire un opéra. Je vois partout des forces en lutte ; je ne découvre nulle part, je ne puis comprendre cette mélodie du grand Tout, que croyait entendre Pythagore.

Prenons une plante, laquelle vous voudrez, un pied de trèfle. D’après les lois de la reproduction, il suffirait à ce trèfle d’un petit nombre d’années pour couvrir la terre de sa postérité trifoliée, si sa spontanéité pouvait se développer librement et qu’elle ne fût arrêtée par aucune autre. Qui donc lui barre le chemin ? D’autres graines, dont la concurrence le refoule ; puis les herbivores, qui s’en nourrissent.

Prenez un animal, la chèvre. Peu d’années suffiraient à un couple pour jeter sur le globe quelques milliards de têtes. Qui vient mettre un frein à ce débordement de population ? L’homme et les carnivores, qui consomment la chèvre, et le manque de pâturages. Encore des spontanéités qui deviennent pour l’espèce caprine de tristes et formidables nécessités.

Permis à vous d’admirer ce circulus, que l’antiquité représenta sous l’emblème du serpent qui se mange la queue. Je soutiens avec l’antiquité que ce prétendu cercle n’est autre chose que le conflit de la création. Pour qu’il y eût accord entre les existences, il faudrait qu’elles ne vécussent pas aux dépens les unes des autres, qu’elles ressemblassent aux lions et aux gazelles du Paradis terrestre, qui croissaient et multipliaient en paissant le même préau. Mais rien ne peut être balancé, soutenu,