Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/91

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votre estomac, et qui un jour couvrira votre cadavre ?

Et, avec ce raisonnement à la Sénèque, l’homme a perdu le sentiment de la nature ; il s’est éloigné d’elle comme d’un impur limon. À la place de cet amour inné que tout être vivant a pour les choses placées dans son usage et son accoutumance, se sont développés des sentiments factices, des mœurs étranges ; et pour avoir insulté la nature, nous avons vu défaillir de plus en plus en nous-mêmes l’intelligence et la Justice.

L’intelligence d’abord.

Le philosophe chrétien est incapable, tant qu’il reste dans la foi, de s’élever à une notion exacte de l’ordre dans l’univers, et conséquemment de la science.

Du principe, en effet, que le monde a été créé, il suit qu’il est créé pour une fin surnaturelle, la fin de l’être devant être en rapport avec le principe de l’être et son expression complémentaire. Conséquemment, toute philosophie qui chercherait la fin de l’univers en lui-même serait en contradiction avec le principe spiritualiste, si hardiment formulé par Descartes, et dont la foi orthodoxe n’est que le développement.

Pour le théologien, le monde n’est et ne peut être autre chose qu’un monument élevé par l’Être suprême à sa propre gloire, un témoignage incessant de son existence ; c’est un livre à chaque page duquel il lit le nom de Dieu. Telle est la conception de Bossuet, de Fénelon, de Bonnet, et de tous ceux qui, partant de l’idée d’un Dêmi-ourgos, et plaçant le principe ou la cause efficiente du monde hors du monde, se mettent dans l’impuissance de trouver au monde ni raison ni fin, et sont obligés, à tous les points de vue, de les rapporter à Dieu. D’où résulte que le monde doit être considéré comme un tout fragile et passager, qui ne subsiste momentanément que parce que le souffle de Dieu l’alimente et que sa main l’empêche