Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/122

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des organes et la multiplication des rapports, sera-ce forcer l’induction que d’affirmer, en conséquence de ce principe, que le sentiment du beau et le talent qui sert à l’exprimer croissent en même temps et par les mêmes causes, non-seulement dans l’individu, mais aussi dans l’espèce ?

Je crois trouver une preuve de ce que j’avance dans le progrès contemporain de la musique.

D’où vient que, tandis que la poésie, l’éloquence, la statuaire, atteignaient un si haut degré de perfection chez les Grecs et les Romains, la musique resta dans une sorte d’enfance, et qu’elle n’a véritablement pris son essor que de nos jours, comme évoquée du néant par la multitude de la science ?

Je n’ai pas la moindre teinture de l’art musical, et n’en puis parler que sur des impressions tout à fait particulières, que je livre ici pour ce qu’elles valent. La musique agit peu sur mes sens ; le plus souvent elle m’ennuie. Mais il m’est arrivé d’en entendre de belle ; l’émotion, très-vive alors, m’est venue tout entière par le cerveau. Ce que la statuaire est au corps, la musique, selon moi, l’est à l’entendement. Platon donnait des ailes aux idées : j’ai cru, en écoutant les chefs-d’œuvre de notre scène lyrique, que j’entendais chanter les miennes. Il me semblait assister à une conversation divine, que j’aurais presque pu traduire en ma prose grossière. Dès qu’elle me devient inintelligible, la musique m’importune ; à mon sens, elle ne vaut rien. Suis-je un barbare qui prend les sautillements de ses nerfs pour une révélation de l’art ? Je n’en sais rien ; mais je crois fermement que ce qui se passe en moi est l’analogue de ce qu’a dû éprouver le compositeur. Les idées, même à son insu, le pressaient ; mais, parce qu’il en saisissait moins la philosophie que l’idéal, il les a transformées en mélodies. La musique est