Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/142

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le blâme, comme l’Éternel dans l’Apocalypse, et qui dès lors commençait à remplacer dans l’opinion l’antique Destin.

Lorsque, Virgile au 2e livre de l’Énéide montre aux regards d’Énée les dieux acharnés au sac de Troie, il ne fait que raconter en vers sublimes la croyance la plus répandue de son temps, à savoir que les nations et les villes, placées sous la protection de divinités indigènes, ne pouvaient être vaincues que par l’évocation de ces divinités. Tous les auteurs sont pleins de cette idée. Déjà, au livre Ier des Géorgiques, Virgile avait dit qu’au moment de la mort de César la Germanie entendit dans le ciel un bruit d’armes :

Armorum sonitum toto Germania cœlo
Audiit…

comme si les dieux des nations vaincues allaient revenir à la charge. Ovide, Tibulle, Lucain, parlent de même. Tacite et Josèphe rapportent à leur tour que, lors du siége de Jérusalem par Titus, on entendit dans l’air des voix surhumaines et comme le bruit d’une armée qui s’en allait. Et nous lisons dans le 4e livre des Rois que, pendant le siége de Samarie, le prophète Élizée fit voir à son serviteur Giezi toute une armée d’élohim combattant pour le roi d’Israël.

Du temps de Virgile, la mythologie vulgaire avait perdu de son crédit, je veux le croire ; mais ce discrédit n’atteignait que les noms, et, tandis qu’on se gaussait de Jupiter, Junon, Vénus, Bacchus et Flore, on ne plaisantait pas des génies et des dieux. Le monde surnaturel prenait dans les esprits, et bientôt dans la langue, un caractère plus élevé ; les anciennes appellations tombaient en désuétude ; la foi au divin et au merveilleux grandissait toujours, tout le monde y croyait : les stoïciens, les platoniciens, les pythagoriciens y crurent ; les pères