Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/145

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devenu à son tour, s’il faut en croire les nouveaux platoniciens, article de science ; — telle est encore cette explication de l’origine du mal par l’union de l’âme et du corps, idée sur laquelle gravitent tous nos faiseurs de théodicées. Ajoutez cet établissement prodigieux de l’empire, la plus grande des merveilles, avant que le christianisme fût devenu le plus grand des miracles ; — cette piété tendre d’Énée, chef militaire, chef d’État, et pourtant fidèle à la religion et à la miséricorde, comme un saint Louis ; — cette royauté pauvre et sans faste d’Évandre, si éloignée du luxe patricien, et qui faisait pleurer d’attendrissement Fénelon ; — cette fantaisie platonicienne de l’égalité des sexes, exprimée par Camille la vierge guerrière, prototype des Clorinde, des Bradamante, des Théroigne de Méricourt, annonce d’un accroissement de dignité pour la femme ; — cette amitié sans tache de Nisus et Euryale, dont notre érudition impure n’a pas même aperçu le motif.

Voilà quel dut être, pour les contemporains de Virgile, le merveilleux de l’Énéide, merveilleux inconnu à Homère, et dont l’effet fut de développer dans l’humanité un sentiment jusque-là endormi, la mélancolie poétique, en donnant à la poésie pour thème, non plus la nature vierge et les dieux nouveau-nés, mais l’homme et ses douleurs. L’épisode des Troyennes pleurant leur patrie, celui d’Hélénus et Andromaque en Épire, la mort de Didon, l’oraison funèbre du jeune Marcellus, la réponse de Diomède aux députés du roi Latinus, toutes ces scènes dont la tristesse est si délicieuse, où les larmes se changent en une mélodie du cœur, me feront comprendre.

XLIV

Mais, me dit-on, vous ne tenez pas votre promesse. Vous avez prouvé que l’Énéide est supérieure à l’Iliade