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Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/148

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de ses dieux. Elle fournissait le texte : idées, sentiments, fictions, la langue, le mètre et la musique, et elle exigeait que ses artistes remplissent le cadre, quitte à recommencer jusqu’à ce que l’œuvre parût digne de l’idéal.

Que ce soit donc le mérite de la Grèce, mérite qui ne doit être compté qu’à elle, d’avoir la première mis en œuvre, sinon inventé, avec le vers hexamètre, certaines fictions et combinaisons épiques, devenues depuis le type de l’épopée ; d’avoir sous cette forme produit, célébré son idée politique et sociale, exprimé des sentiments qui dureront autant que le cœur humain.

Je dis que les écrivains postérieurs, Virgile entre autres, devant continuer la chaîne des temps, rattacher Rome à la Grèce, l’Énéide à l’Iliade, ont eu le droit de disposer souverainement de ce matériel, publica materies ; que c’était pour eux une nécessité, et que, comme on ne doit pas leur en faire un mérite, il n’est pas juste non plus de leur en faire un grief. Dans l’Iliade, l’épisode du bouclier d’Achille est une conception charmante ; reproduit dans l’Énéide, le même épisode n’a plus de valeur que celle de l’idée qu’il sert à rendre, et qui dépasse de cent coudées celle de l’Iliade. Pour juger les deux épisodes, il ne faut pas regarder l’armure, il faut voir ce que les Cyclopes ont gravé dessus.

D’avance le moule de l’Énéide, aussi bien que le vers, était jusqu’à certain point donné par les poèmes homériques, d’autant que la plupart des fictions venaient de plus loin, passant d’une nation à l’autre, comme un héritage. Filles toutes deux de Japhet, adorant les mêmes dieux, parlant presque le même idiome, l’Italie et la Grèce étaient liées l’une à l’autre dans leur destinée épique, leur patrimoine intellectuel et moral était le même ; différentes par la physionomie et le tempérament, plus que par le fond de leurs natures. Tout ce qu’avait chanté,