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LIII

On ne peut juger de la beauté des choses, si l’on ne connaît la raison des choses. On a vu ce que l’application de ce principe ajoute de grandeur et de beauté à l’Énéide ; on va voir quelle supériorité elle assure au vers français sur le vers latin et le vers grec.

Le vers latin, je parle surtout du grand vers, identique au vers grec, est de sa nature, et nonobstant l’enjambement, solitaire ; le vers français, grâce à la rime, va par couple. Je n’ai pas besoin d’en savoir davantage pour affirmer, à priori, l’excellence de cette dernière combinaison.

En logique, toute proposition isolée semble boiteuse, elle laisse l’esprit en suspens ; pour mieux dire, elle ne signifie rien. Il faut un commencement de série, deux termes au moins, deux idées, couplées, balancées, une dualité, une polarité. Là est la condition positive, réelle, pratique, plastique, de toute création, la physique pourrait dire, de toute force et de tout mouvement. La monade, l’atome, n’est qu’un concept, un absolu, une non-phénoménalité, rien.

La poésie hébraïque avait entrevu cette loi, qu’elle suivait dans son parallélisme, souvent puéril ou enchevillé, mais qui parfois produit des effets puissants.

Là est aussi le secret de la poésie française, ce qui fait sa magnificence et sa force : des couples redoublés, deux hémistiches égaux pour le vers, deux vers couplés par la rime pour le distique, puis encore deux couples de sexe différent, pour former le quatrain.

Cette philosophie du vers français semble inconnue à nos poëtes contemporains, qui lui reprochent sa monotonie et se donnent un mal énorme pour appauvrir la rime, rompre les hémistiches, faire enjamber les vers, dissi-