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Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/190

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Est-ce le talent qui manque aux littérateurs et aux artistes ? Non : ils ont du talent à revendre, du génie même, puisque le mot leur plaît. Seulement il leur manque deux qualités sans lesquelles la Révolution est incompréhensible et le génie moins que rien : l’amour du travail et le sens moral.

Est-ce le goût qui fait défaut ? Non encore : le goût est plus exercé, plus sûr qu’il ne fut jamais ; la preuve est que, malgré les réclames des coteries, il n’y a pas une renommée qui fasse illusion.

Les études ont-elles faibli ? Jamais, au contraire, pareils trésors ne furent mis à la disposition de l’homme de lettres. Histoire, langues, mœurs, antiquités, littératures anciennes et modernes, du nord et du midi, de l’orient et de l’occident ; systèmes religieux, légendes, tout a été fouillé, recueilli, mis en lumière ; l’humanité tout entière n’aura bientôt plus rien à nous fournir. La philologie et l’érudition ont rempli leur devoir ; à aucune époque elles n’avaient mérité des palmes plus glorieuses.

Le public a-t-il disparu ? Encore moins. Les cent hommes de goût pour lesquels Voltaire se vantait d’écrire seraient cent mille, si Voltaire écrivait encore.

Quel est donc ce prodige, qu’avec des talents au moins égaux, un goût plus exercé, des études plus fortes, un public plus intelligent et plus nombreux, la littérature décline si rapidement ?

Comme l’arbre tombe du côté où il penche, ainsi en est-il de toute littérature. La raison des choses veut que dans la société l’idéal, au lieu de commander, serve : c’est le principe contraire que suivent nos gens de lettres. Depuis cinquante ans la littérature française, aspirant à vivre exclusivement par l’idéal et pour l’idéal, a déserté la Révolution et la Justice ; par cette apostasie, elle a trahi