Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/235

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d’une passion dépitée, sont celles d’une compagne sacrifiée, non d’une femme trompée ; à cet égard, elle est si loin d’envisager sa faute comme nous le ferions aujourd’hui qu’elle regrette de n’avoir pas au moins un enfant de son union passagère :

. . . . . . .Si quis mihi parvulus aulà
Luderet Æneas ;


idée qui certes ne viendra jamais à une libertine.

Au surplus, j’ai fait connaître ailleurs la raison politique et sociale de cet épisode de l’Énéide. Virgile, en admettant, avec Homère, Platon, Auguste lui-même, une certaine honorabilité dans le concubinat, a voulu surtout glorifier le mariage romain, et réprouver en conséquence la dégradation de la majesté impériale dont s’était rendu coupable Antoine, par son concubinat avec Cléopâtre. N’oublions pas que le triumvir, après avoir répudié Octavie pour prendre la reine d’Égypte, répond à Auguste : — « Quel mal fais-je ? Cléopâtre est ma femme. En peux-tu dire autant de Tertulla, de Térentilla, et de tant d’autres que tu courtises contre tout droit et toute pudeur ?… » Environ cent ans après la lecture que Virgile fit de son poëme en présence d’Auguste et d’Octavie, la femme délaissée d’Antoine, la tragédie de la fondatrice de Carthage et du héros troyen se jouait au naturel entre Titus et Bérénice, dont le concubinat, non l’amour assurément, blessait si fort le soldat roumain. À une époque où le mariage solennel tombait en désuétude, la qualité de concubine ou hétaïre était un pas vers la dignité d’épouse : cette transition, que notre civilisation rejette, me paraît avoir été, après la chute de la république romaine, le principal soutien de la moralité dans les relations des sexes.