Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/398

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riérée, contradictoire. La preuve, c’est qu’il a beaucoup perdu de sa réalité ; dans trente ans, les trois quarts de ses chansons n’auront plus de valeur. Ses vingt dernières années, il les a passées à remâcher ses plus heureux refrains et à regretter ses amours ; il est mort déiste. Comme Rousseau, il fut, par la prédominance de l’élément féminin, un agitateur en qui la passion débordait la conscience ; il a servi la Révolution, mais il a fait baisser le sens moral et dérouté le sens politique ; s’il montre quelque virilité d’entendement, c’est dans l’architecture de ses chansons, dont chacune forme un crescendo continu, un tout logique et complet, parfois même comme la miniature d’un poëme épique.

XXII

M. de Lamartine.

Jamais peut-être un homme ne se rencontra doué d’inclinations plus heureuses que M. de Lamartine, il aime la vraie gloire et il s’y connaît ; son esprit cherche naturellement la vérité, son cœur la Justice ; les plus hautes conceptions, quand elles lui sont présentées, il les embrasse sans effort ; personne plus que lui ne désire servir et illustrer son pays ; il a la religion du devoir, le courage dans le danger, et celui, plus rare encore, de la fidélité à sa conviction, alors même que cette conviction peut le rendre impopulaire. Ajoutez une chasteté de sentiments qui rappelle Bossuet, et une puissance de verbe qui tient du prodige. Tout d’abord on l’aime, en se sent attiré vers lui ; on le prendrait volontiers pour directeur de conscience ; il semble même, à la limpidité et à l’éloquence de sa parole, que l’on pourrait se reposer sur lui du soin de penser et de raisonner, tant dans ses écrits, comme dans ses discours et toute sa personne, l’expression du beau apparaît comme le gage souverain de la raison. Malheureusement, ces belles qualités sont déparées, souvent même neutralisées, par un irréparable défaut : le travail intellectuel, chez M. de Lamartine, cet esprit d’analyse et de synthèse qui seul, en donnant la raison des choses, élève et entretient l’idéal, manque tout à fait ; il contemple, il ne pénètre pas ; et comme il arrive à