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le raisonnement et l’expérience me conduisent à admettre dans la collectivité sociale, comme dans l’individu et dans le couple, une force, une raison et une conscience propre. En sorte que je suis amené à considérer la société humaine comme une réalité aussi réelle que les individualités qui la composent ; par suite, de concevoir la collectivité ou le groupe comme la condition de toute existence, la série comme la base de toute idée et de tout concept. Les choses spirituelles me donnent ainsi l’intelligence des matérielles ; et réciproquement la matière, corps simples, corps composés, avec les forces qui s’en dégagent, tout cela n’est plus pour moi, comme le mot de matière l’indique, que le matériel du monde moral, l’instrumentation de la Justice.

Enfin, chose surprenante, eu égard à mes préjugés d’école, c’est à l’aide de ces notions de force collective, de groupe, de série, que je m’élève à l’intelligence et à la certitude de mon libre arbitre, de toutes mes idées la plus difficile à atteindre. Grâce à la notion enfin expliquée du libre arbitre, je me rends compte de cet idéal qui me ravit, de ce progrès qui est ma loi, et qui consiste, non pas en une évolution fatale de l’humanité, mais dans son affranchissement indéfini de toute fatalité. Par le libre arbitre, je connais l’origine du mal, les causes qui font décroître la Justice et déchoir les nations ; je puis poser les principes d’une esthétique et d’une philosophie de l’histoire.

Alors, l’idée d’une harmonie universelle entre dans mon âme : je me dis qu’entre le monde de la nature et le monde de la Justice, loi, force, substance, tout est identique ; qu’ainsi, comme l’ordre est parfait entre les sphères qui parcourent l’espace, la proportion immuable entre les éléments dont se compose toute créature, il en doit être de même entre les hommes. Et le fait vient aus-