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Le peuple romain a l’idée de la Justice, un sentiment extraordinaire du droit.

Sa Justice est boiteuse, sans doute, telle que pouvait être, au premier âge des sociétés, une Justice qui ne se distingue pas de la dignité individuelle garantie par la religion. Mais il croit à cette Justice de toute son âme ; il ne rêve qu’elle, dans ses assemblées, dans sa politique, dans ses guerres, dans ses révoltes, jusque dans ses violences et ses perfidies. Le Romain vit du droit : là-dessus, il ne plaisante pas. Ses historiens ont conservé le souvenir du scandale qui remplit la ville, quand les philosophes venus à la suite de Pyrrhus offrirent de prouver qu’il n’existe aucune différence entre le juste et l’injuste, et que le droit est un préjugé, un mot.

Rome peut douter de ses augures, de ses poulets sacrés, de ses vestales : à l’égard du droit, le scepticisme ne prendra pas.

L’idée du droit crée à Rome, au dedans une force de cohésion, vis-à-vis de l’étranger une puissance d’assimilation, et par là une puissance d’attaque, sans égale. Chez les Grecs, la cité était organisée surtout contre l’étranger ; à Rome, elle semble faite tout exprès pour l’introduire. Autant de victoires, autant d’incorporations : cette idée passe à l’état de tradition dans la masse, au point d’alarmer le sénat pour la nationalité romaine. L’État romain, fondé, organisé, développé par les rois, les consuls, les décemvirs, les tribuns, est le plus fort dont l’antiquité ait laissé le souvenir : c’est que, grâce à la notion du droit qui en fait la base, la collectivité romaine est tout à la fois la mieux groupée et la plus compréhensive qui existe.

Le droit, incompatible partout ailleurs avec le métier de soldat, est l’âme de l’armée romaine. Les nôtres, avant de se battre, jouent aux dés ou se donnent la co-