Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/109

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bonne, utile, féconde ; qu’elle agit sur les nations comme une crise salutaire, en mettant fin à une situation équivoque, et sur les individus comme une sorte de réaction qui fait apparaître en eux des vertus de discipline, des trésors de sensibilité et de grandeur d’âme, qu’ils n’eussent jamais manifestés en tout autre état.

Voilà ce que le soldat se dit au fond du cœur, d’accord avec le témoignage du genre humain ; ce que de vieux juristes, étrangers à l’action et blasés sur le droit, peuvent méconnaître ; ce dont la comédie peut en temps de paix faire sourire, mais qui devient du plus grand sérieux à la première difficulté qui surgit entre les états. On a dit qu’en 93 l’honneur de la France s’était réfugié sous les drapeaux. Tremblons qu’il n’en soit de même, pour l’Europe, aujourd’hui. La valeur des militaires, en contraste avec les corruptions de tout genre qui dévorent la société civile, serait pour la civilisation d’un sinistre augure.

Il s’agit donc d’étudier à fond cette religion de la guerre, transmise d’âge en âge, et toujours aussi fervente. Tant que cet examen n’aura pas été fait, tant que l’énigme ne sera pas expliquée, l’humanité non-seulement restera à l’état de guerre, mais sera emportée par la guerre. La destinée des états reposant uniquement sur la valeur des armées, les nations flotteront, tantôt élevées, tantôt submergées par la vague, sur l’océan de l’histoire ; et comme en dernière analyse la guerre n’est ni le tout de l’humanité, bien qu’elle se mêle à tout, ni son dernier mot ; comme il n’existe pas seulement de la force dans le monde, il arrivera que, la force conservant la prépondérance, le droit, les mœurs, la civilisation, les idées, la liberté, demeureront précaires.

La guerre, tout nous l’atteste, est donc plus qu’un fait, plus qu’une situation, plus qu’une habitude. Ce n’est pas