D’où vient la société ? se demande Hobbes. Qu’est-ce que l’État ? Sur quoi reposent les fondements de l’ordre politique ? Quelle est l’étendue des pouvoirs du prince ? Quel en est le principe ? Qu’entend-on par démocratie, aristocratie, monarchie ? Que vaut le serment ? Que signifient ces mots contrats, obligations, etc. ? La religion nous éclaire sur ces questions ; nous connaissons ses réponses. Elle a résolu à sa manière ces redoutables problèmes, et nous vivons sur ses préceptes, nous subsistons de sa tradition. Mais, en dehors de la foi et de l’ordre exprès de Dieu, quelle idée pouvons-nous nous faire de toutes ces choses ?
Telle est la thèse. Certes, c’était une tête puissante, que celle qui, dès la première moitié du dix-septième siècle, se posait de semblables problèmes ; et ce fut incontestablement un homme de génie que celui qui en essaya la solution.
Que si maintenant, par matérialiste et athée, l’on entend celui qui cherche la vérité et la règle des mœurs par les seules forces de la raison, assistée de l’expérience, assurément Th. Hobbes doit être réputé athée et matérialiste. Mais Descartes est athée aussi, Bacon et tous les autres sont dans le même cas. Notre société moderne tout entière, enfin, peut être appelée athée et matérialiste, car elle distingue nettement et tient de plus en plus à distinguer la philosophie de la théologie, comme le temporel du spirituel. Ceux-là mêmes qui ont conservé des croyances religieuses sont les premiers à reconnaître la nécessité de séparer la religion de la raison. De savoir, après cela, si le même Hobbes, athée spéculatif comme Descartes était pyrrhonien, l’est également dans son cœur ; s’il a dit, en son âme et conscience, comme l’incrédule du psalmiste : Non, il n’y a point de Dieu, j’avoue que je ne tiens pas le moins du monde à l’éclaircir. Ce qui m’intéresse est la doctrine de Hobbes ; je suis sans inquiétude sur son salut.