Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/151

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hors ligne, géomètre, poète, helléniste, ami de Bacon, de Galilée, de Gassendi, trois noms qui en valent des centaines d’autres ; qu’il ait même souffert la persécution et l’exil pour ses opinions : on l’accorde, mais on n’en tient pas compte. L’homme est jugé. Les cléricaux du dix-septième siècle ont instruit le procès ; les soi-disant critiques du dix-neuvième adoptent leurs conclusions, et tout est dit. C’est ainsi que la littérature marchande exécute les auteurs. Et voilà ta justice, ô Postérité !

L’objet des écrits de Hobbes, la pensée de toute sa vie, d’une vie de quatre-vingt-douze ans, fut de rechercher, par les seules forces de la raison, de la droite raison, comme il aime à s’exprimer, les principes de la morale et du droit.

Est-ce qu’un esprit, que tourmente pendant quatre-vingt-douze ans une pareille idée, est un esprit d’immoralité ? Car enfin, les qualifications d’athéisme, de matérialisme, d’absolutisme, que prodiguent à tort et à travers des gens qui ne savent certes pas mieux que Hobbes ce que c’est que Dieu, la matière, ou l’absolu, n’impliquent rien de moins que cela.

Th. Hobbes appartient à cette génération puissante, venue à la suite de la Réforme, mais que la Réforme elle-même ne satisfaisait pas, et pour qui le droit de libre interprétation de la Bible devenant bientôt le droit de penser librement sur toutes choses, l’édifice entier de la connaissance, jusque-là basé sur la foi, devait s’établir enfin sur la raison. Dans les rangs de cette généreuse phalange de penseurs, se distinguent, à des titres divers et dans des directions différentes, Bacon, Gassendi, Galilée, amis de Hobbes, Descartes, Grotius, Spinoza. Hobbes marche de pair avec ces grands hommes, et quelque erronée que soit sa doctrine, il a droit à conserver sa place, d’autant mieux que son action sur son siècle et sur les suivants a été bien plus grande qu’on ne le suppose.