Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/160

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ganiser la guerre ; et cela, notons-le bien, toujours en vertu de ce que Hobbes appelle droite raison, état de nature, ou droit naturel.

On voit maintenant en quoi consiste la théorie de Hobbes. Ce n’est, à vrai dire, pas autre chose, au fond, qu’une démonstration de la nécessité de la justice, par la réduction à l’absurde de l’hypothèse de la non-existence de la justice. Un professeur de droit, qui, avant d’aborder la preuve directe de l’existence d’un principe positif de justice dans la raison et dans la conscience de l’homme, voudrait, par manière de prolégomène, démontrer à ses élèves l’impossibilité du système contraire, ne s’y prendrait pas autrement qu’a fait Hobbes.

« On nie, leur dirait-il, la réalité de ce principe que nous appelons la justice ; on prétend que justice, droit, morale, sont de vains mots, de pures conventions. Eh bien, messieurs, avant de vous faire toucher du doigt que ces mots couvrent des choses, plaçons-nous pour un moment sur le terrain de nos adversaires. Il n’y a point de droit : Soit. La société humaine est le produit d’une convention arbitraire, d’une fiction légale : je le veux bien. C’est donc à dire que, en dehors de cette convention, — Hobbes disait en dehors des institutions religieuses, — l’homme est dans un état naturel d’antagonisme où tout lui est permis, où son unique loi est de pourvoir, per fas et nefas, à la satisfaction de ses appétits. Mais, après avoir plus ou moins longtemps bataillé, donné cours à ses instincts féroces, il est évident que, dans l’intérêt même de cette conservation pour laquelle il se croit tout permis, au nom et en vertu de son égoïsme, il cherchera, par un armistice d’abord, puis par un traité quelconque, à sortir de cet état qui n’aboutit à rien de moins qu’à la destruction totale de l’espèce. S’il fait un premier pas dans cette voie, il en pourra faire mille ; il renoncera à son droit de tuer et de voler, il formera une cité.