Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/210

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donner le massacre des innocents et des vieillards. Toutes les têtes sont sacrées ; la société n’existe que pour leur conservation. Dans aucun cas, dis-je, l’homme n’a le droit de supprimer l’homme, la majorité de se faire la place plus large par l’élimination de la minorité.

Mais il en est autrement des États. Dans mainte circonstance il faut que cette personne collective, qui a aussi son âme, son génie, sa dignité, sa force ; devant laquelle toutes les individualités s’inclinent comme devant leur souverain, il faut, dis-je, qu’elle disparaisse, absorbée par une existence supérieure. Le mouvement de la civilisation, le perfectionnement des États est à ce prix.

Des faits innombrables, tant de l’histoire moderne que de l’histoire ancienne, prouvent qu’en toute guerre c’est cette personne collective, l’État, ou comme nous disons aujourd’hui la nationalité, qui est en péril : la destruction des cultes (Cambyse, en Égypte ; Antiochus, roi de Syrie, en Palestine ; les musulmans) ; la destruction des aristocraties (conseil donné par Tarquin le Superbe à son fils, transportation des familles nobles de Judée par Nabuchodonosor, massacres de Gallicie) ; destruction des sacerdoces (persécution des mages par Darius, des druides par les Romains) ; massacre de tous les mâles, parfois de toute la population (le Pentateuque) ; abolition des langues ; destruction des livres et des monuments ; changement des constitutions ; déplacement ou destruction des capitales, etc., etc. — Ces faits démontrent jusqu’à l’évidence qu’une pensée réfléchie, sachant ce qu’elle veut et où elle va, préside a toutes ces exterminations. Cette pensée, je le répète, n’est autre que l’immolation, en vertu du droit de conquête, de la personne collective qui a nom l’État, et que le vainqueur poursuit partout où il croit la voir vivre, dans le culte, la langue, les institutions, la dynastie, la noblesse, etc.