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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/263

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les nations sont trop denses aujourd’hui ; elles ont trop de points de contact, trop de relations nécessaires, pour qu’elles puissent réaliser, comme elles le voudraient, cet idéal de l’indépendance politique. Mais le principe existe, et les gouvernements s’en écartent le moins qu’ils peuvent. Ni l’Angleterre, ni l’Allemagne, malgré leurs innombrables rapports avec la France, n’ont accepté son système de poids et mesures. La Russie, que son étendue et sa situation excentrique mettent suffisamment à l’abri de toute absorption, persiste à conserver le calendrier Julien, en retard aujourd’hui de douze jours sur le soleil.

Mais, quoi que fassent les chefs d’états pour maintenir leur indépendance respective, vient un moment où cette indépendance est menacée. La faute n’en est originairement à personne. L’accroissement des populations, leur contiguïté, leurs points de ressemblance, leurs échanges, les relations de voisinage, les liens d’hospitalité, de mariage, d’association, la gêne des barrières, sont autant de causes qui menacent, de ça et de là, la diversité, l’autonomie, la nationalité des gouvernements. Le pêle-mêle commençant peu à peu à s’opérer, la situation devenant toujours plus urgente, le moyen d’en sortir se présente d’abord à tous les esprits : c’est de fondre les nations sous une même autorité, et de rendre communs et uniformes gouvernement, dynastie, culte, législation, en un mot, de ne former tous ensemble qu’un même état.

Or, ainsi que nous l’avons fait observer, une telle fusion, pour les États arrivés à l’antagonisme, est chose d’une excessive gravité. Elle implique l’abdication de la plupart, sinon la transformation de tous. Mais abdiquer, pour une nation, c’est renoncer à tout ce qui a fait jusque-là sa gloire, sa vie, la félicité et l’orgueil de ses citoyens ; c’est la mort morale, le suicide. Une nation ne peut pas dire à sa voisine, comme Ruth à sa belle-mère : Laisse-moi demeurer