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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/38

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les caractères d’écriture dans les manifestations de l’esprit. Mais tout cela ne révèle de soi aucune idée. En voyant deux armées qui s’entr’égorgent, on peut se demander, même après avoir lu leurs manifestes, ce que font et ce que veulent ces braves gens ; si ce qu’ils nomment bataille est une joute, un exercice, un sacrifice aux dieux, une exécution judiciaire, une expérience de physique, un acte de somnambulisme ou de démence, accompli sous l’influence de l’opium ou de l’alcool.

Non-seulement, en effet, les actes matériels de la lutte n’expriment rien par eux-mêmes, mais l’explication qu’en donnent les légistes, et, à leur suite, les historiens, les hommes d’état, les poètes et les gens de guerre, à savoir, que l’on se fait la guerre parce qu’on est en désaccord d’intérêts, cette explication n’en est pas une : elle signifierait simplement que les hommes, de même que les chiens, poussés par la jalousie et la gourmandise, se querellent, et des injures en viennent aux coups ; qu’ils se déchirent pour une femelle, pour un os ; en un mot, que la guerre est un fait de pure bestialité. Or, c’est ce que le sentiment universel et les faits démentent, et ce qui, de la part d’un être intelligent moral et libre, répugne. Il est impossible, de quelque misanthropie que l’on se targue, d’assimiler entièrement, sous ce rapport, l’homme et la brute ; impossible, dis-je, de rapporter purement et simplement la guerre à une passionnalité d’ordre inférieur, comme si l’humanité pouvait tout à fait se scinder, se montrer tour a tour ange ou bête féroce, selon qu’elle obéirait exclusivement à sa conscience ou à l’irascibilité de ses appétits.

Puis donc que ni le matérialisme des militaires, ni le verbiage des légistes et des diplomates, ne sauraient ici nous instruire, un seul parti nous reste : c’est de considérer la guerre, de même que le culte et la procédure,