Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/44

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mort est le couronnement de la vie : comment l’homme, créature intelligente, morale et libre, pourrait-il plus noblement finir ?

Les loups, les lions, pas plus que les moutons et les castors, ne se font entre eux la guerre : il y a longtemps qu’on a fait de cette remarque une satire contre notre espèce. Comment ne voit-on pas, au contraire, que là est le signe de notre grandeur ; que si, par impossible, la nature avait fait de l’homme un animal exclusivement industrieux et sociable, et point guerrier, il serait tombé, dès le premier jour, au niveau des bêtes dont l’association forme toute la destinée ; il aurait perdu, avec l’orgueil de son héroïsme, sa faculté révolutionnaire, la plus merveilleuse de toutes et la plus féconde ? Vivant en communauté pure, notre civilisation serait une étable. Saurait-on ce que vaut l’homme sans la guerre ? Saurait-on ce que valent les peuples et les races ? Serions-nous en progrès ? Aurions-nous seulement cette idée de valeur, transportée de la langue du guerrier dans celle du commerçant ?… Il n’est pas de peuple, ayant acquis dans le monde quelque renom, qui ne se glorifie avant tout de ses annales militaires : ce sont ses plus beaux titres à l’estime de la postérité. Allez-vous en faire des notes d’infamie ? Philanthrope, vous parlez d’abolir la guerre ; prenez garde de dégrader le genre humain…

Mais, dites-vous, par quel abominable sophisme la plus généreuse des créatures a-t-elle pu faire de l’assassinat de son semblable un acte de vertu ?… Eh ! c’est vous-même qui faites ici du sophisme, car vous méconnaissez, vous calomniez la conscience humaine, que vous ne comprenez pas. Elle proteste, cette conscience, contre l’assimilation que vous faites de la guerre à l’assassinat. Et c’est justement cette protestation qui constitue le mystère, et qui fait de la guerre un phénomène divin. Comment se fait-il,