Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/62

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comme moyen d’exposition, terme de comparaison, dont elles pourraient fort bien s’abstenir. A-t-on jamais ouï dire que de deux objets comparés, l’un dût être considéré, en vertu de la comparaison, comme la copie, voire même le produit de l’autre ?… »

Ceux de mes lecteurs qui me feraient sérieusement cette objection, ne n’auraient pas encore compris.

Je sais qu’en toute chose il faut considérer le fond et la forme, la matière et l’œuvre ; c’est à cela que se réduit l’objection qui m’est faite. Mais je sais aussi qu’en dépit de leur distinction nécessaire, ces termes s’impliquent et se supposent, de manière que la forme sans le fond, ou le fond sans la forme, la matière sans l’œuvre, ou l’œuvre sans la matière, ne sont absolument rien. Ainsi, point de religion sans dogme, point de justice sans formules ; pareillement, point de poésie sans idée et sans sujet, point d’art sans matière plastique.

La question est donc, en ce qui touche la Religion, la Justice, et la Guerre, les deux premières considérées comme fond, la dernière, comme expression, symbole ou formule ; la question, dis-je, est, non pas de distinguer entre le fond et la forme, mais de savoir, d’abord, si le fond pouvait exister sans la forme ; en second lieu, si, ne pouvant exister sans forme, il pouvait en revêtir une autre que celle qui lui a été donnée, ce que je nie positivement. De même, en ce qui touche la Poésie, considérée comme faculté de l’idéal, et la Guerre, considérée comme objet d’exploitation épique ou artistique, la question n’est pas non plus de distinguer, en général, entre l’œuvre et la matière, mais de savoir si la poésie, la faculté de créer l’idéal, ayant besoin pour cette idéalisation d’une réalité matérielle et vivante, pouvait se manifester, dans sa plénitude, sans sujets guerriers ; ce que je nie de nouveau de toute l’énergie de ma conviction.