Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/63

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Non, il n’y a pas de religion, à plus forte raison, il n’y a pas de théologie, pas de culte, pas de sacerdoce, pas d’Église, sans cet antagonisme profond qui régit l’homme et la nature, qui produit, ou si l’on aime mieux, qui occasionne la souffrance et le péché, et se traduit, entre nous autres mortels, par la guerre.

Non, il n’y a pas de justice, pas de juridiction, pas d’autorité, pas de législation, pas de politique, pas d’état, en dehors de ce même antagonisme, qu’à défaut de toute autre excitation, il suffirait de vouloir détruire pour le déchaîner à l’instant. D’où est venue, en 1848, cette horreur du communisme, qui a précipité la société européenne dans une rétrogradation dont on aperçoit à peine le terme ? Analysez, résumez tout ce qui s’est débité à ce sujet ; au fond, que trouvez-vous ? Cette idée prodigieuse, dont personne, assurément ne s’est rendu compte, savoir : Que la société, pour se conserver digne, morale, pure, généreuse, voire même laborieuse, devait, avant tout, se tenir à l’état antagonique, à l’état de guerre…

Eh bien, il en est ainsi de la poésie et de la littérature. La guerre, qui fait fuir, dit-on, les Muses pacifiques, est au contraire l’aliment qui les fait vivre, le sujet de leur conversation éternelle. Les flots de sang que répand Bellone sont, pour Apollon et les chastes sœurs, la véritable Hippocrène. C’est de tous les sujets dont s’inspirent les poètes, les historiens, les orateurs, les romanciers, le plus inépuisable, le plus varié, le plus attachant, celui que la multitude préfère et redemande sans cesse, sans lequel toute poésie s’affadit et se décolore. Supprimez le rapport secret qui fait de la guerre une condition indispensable, de près ou de loin, aux créations de l’idéal, aussitôt vous allez voir l’âme humaine partout abaissée, la vie individuelle et sociale frappée d’un insupportable prosaïsme. Si la guerre n’existait pas, la poésie l’inventerait. Sans doute,