Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/116

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même temps celles où, par une cause que nous ferons connaître tout à l’heure, la misère sévit davantage. L’exemple de ces nations, loin de démentir la loi, la confirme. Quant au progrès de l’industrie, il est surtout manifeste dans les choses qui ne sont pas de première nécessité, et pour lesquelles nous avons moins besoin de l’action directe de la nature. Mais que cette catégorie de produits vienne à excéder, de si peu que ce soit, la proportion que leur assigne la quantité obtenue de subsistances, aussitôt ils baissent de valeur, tout ce superflu est réputé néant. Le sens commun, qui tout à l’heure semblait à la poursuite de la richesse, s’oppose maintenant à ce que la production dépasse la limite de la pauvreté. Ajoutons enfin que si, par le travail, la richesse générale augmente, la population va encore plus vite.

De tout cela il résulte que, devant une puissance de consommation illimitée et une puissance de production forcément restreinte, la plus exacte économie nous est ordonnée. Tempérance, frugalité, le pain quotidien obtenu par un labeur quotidien, la misère prompte à punir la gourmandise et la paresse : telle est la première de nos lois morales.

Ainsi le Créateur, en nous soumettant à la nécessité de manger pour vivre, loin de nous promettre la bombance, comme le prétendent les gastrosophes et épicuriens, a voulu nous conduire pas à pas à la vie ascétique et spirituelle ; il nous enseigne la sobriété et l’ordre, et nous les fait aimer. Notre destinée n’est pas la jouissance, quoi qu’ait dit Aristippe : nous n’avons pas reçu de la nature, et nous ne saurions nous procurer à tous, ni par industrie ni par art, de quoi jouir, dans la plénitude du sens que la philosophie sensualiste, qui fait de la volupté notre souverain bien et notre fin, donne à ce mot. Nous n’avons pas d’autre vocation que de cultiver notre cœur et notre in-