Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/18

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fort bien se passer des inventions infernales des armuriers[1].

Quoi qu’il en soit de l’anecdote racontée par le Times, il est certain que toutes les nations de l’Europe font maintenant usage de la carabine et du canon rayés, de la balle et du boulet coniques, plus dangereux que les mêmes projectiles ronds. On parle même de donner à tous les soldats de l’armée française, cavaliers et fantassins, des revolvers à six coups. Pourquoi ce perfectionnement qui, loin d’ajouter à la force et au courage, sert plutôt la faiblesse et la lâcheté ; qu’on peut même dire inutile, puisqu’il suffit pour la victoire que le soldat soit mis hors de combat ? N’est-ce pas manquer de tous points au but de la guerre, qui est de

  1. Les Français ne sont pas seuls, à ce qu’il paraît, coupables de ces attentats contre le droit de la guerre. On lit dans le Nord du 3 février 1860 : « Le général Dieu a été, comme vous savez, grièvement blessé dans la campagne d’Italie. La plus grave de ses blessures a été causée par une balle explosible, qui lui a éclaté dans le côté. Quelques fragments des os fracturés par le projectile te sont logés dans les intestins, et y occasionnent fréquemment des abcès qu’on est obligé de percer. On ne peut se faire une idée des souffrances que ces opérations répétées font endurer à l’héroïque malade, il les supporte avec une résignation d’autant plus admirable qu’il connaît toute la gravité de son mal, etc. »
      N’est-ce pas une honte, disait Bayard à propos de l’arquebuse, qu’un homme de cœur soit exposé à périr par une misérable friquenelle contre laquelle il ne peut se défendre, et qui met de pair le vaillant et le lâche ?… À quoi servent, demanderai-je à mon tour, pour le but de la guerre, ces inventions atroces ? N’avions-nous pas assez de la lance et de l’épée ? Il est vrai qu’avec la lance et l’épée il faut s’aborder de prés, ce qui paraît convenir moins à notre moderne bravoure Notez cependant que les mêmes nations qui fabriquent des balles explosibles rougiraient, comme d’une trahison, de les empoisonner. Quelle délicatesse !
      C’est un hommage a rendre au corps de l’artillerie française : elle est peu favorable aux inventions destructives, et je l’ai entendu blâmer à ce propos par des industriels qui se croyaient certainement aussi amis du progrès que philanthropes. Nos artilleurs pensent, apparemment, qu’ils ont bien assez de la mitraille, et qu’il est plus digne de gens d’honneur de s’aborder à l’arme blanche que de se canarder à des distances de quatre et cinq kilomètres. En vérité, on ne saurait être plus rétrograde.