Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/49

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lence des chocs et à la supériorité des armes, mais on s’en fait proportionnellement davantage à soi-même, ce qui rend la victoire louche. On tue plus de monde sans obtenir plus de succès. L’esprit démocratique, qui a pénétré les armées depuis la révolution, semblait devoir être tout à l’avantage du soldat, et jamais on ne vit pareil mépris de la vie des hommes. En un mot, le matérialisme de la bataille s’est accru avec la civilisation, le contraire de ce qui aurait dû arriver.

Ces reproches, que l’on est en droit d’adresser a la tactique moderne, constituent autant de violations du droit de la guerre. Peu de mots suffiront à me faire comprendre.

D’abord, en ce qui concerne le choc des masses. Je ne veux pas discuter sur l’ordre profond et l’ordre mince, bien moins encore irai-je jusqu’à prétendre que la vraie manière de combattre serait que les soldats des deux armées s’attaquassent simultanément, corps à corps, homme à homme, virum vir ; puis de compter de quel côté il y aurait le plus de morts et de blessés, dans ces cent ou deux cent mille duels. Je n’ignore pas que de toutes les batailles les plus sanglantes sont celles où chaque soldat choisit son ennemi. J’accorde donc que le groupement des forces, qui est une de nos puissances économiques, doit être compté aussi parmi les moyens légitimes de vaincre. Il y a d’ailleurs dans ce groupement, dans cette confraternité du champ de bataille, un élément moral qui rappelle la solidarité civique, l’unité de la patrie, et qui est certainement une force. Si le soldat français, par son instinct de concentration et d’unité, est plus disposé que tout autre à ce genre de tactique, si on le voit se rallier spontanément au milieu de la mêlée, se former en peloton, sans même attendre l’ordre de ses chefs, il faut le prendre tel que l’a fait la nature, qui a diversement constitué les animaux et les hommes, qui a donné le sabot au cheval, la corne au