Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/48

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vil. Tandis que dans la justice ordinaire distribuée aux citoyens par l’État, la force appartient à la raison et doit restera la loi ; ici l’on peut dire, au rebours, que la raison, la loi, le droit, appartiennent et doivent rester à la force.

Il suit de là que la lutte des puissances engagées, autrement dire la guerre, n’a pas directement pour fin leur destruction mutuelle, bien qu’elle ne puisse avoir lieu sans effusion de sang et sans consommation de richesse ; elle a pour fin la subordination des forces, ou leur fusion, ou leur équilibre.

D’où il suit encore que, dans cette espèce de duel judiciaire, le mode d’action doit être réglé de telle sorte que non-seulement les forces matérielles mais aussi les forces morales de chaque puissance belligérante y interviennent, et qu’enfin la victoire reste à la plus forte, c’est-à-dire à celle qui l’emporte dans le plus grand nombre de parties, importance des armées, force physique, courage, génie, vertu, industrie, etc., et cela avec le moins de dommage possible des deux parts.

Hors de ces principes, il n’y a plus guerre, au sens humain et juridique du mot : c’est un combat de bêtes féroces, pis que cela, un massacre de brigands. Je dirais presque, comme de Maistre, eu égard à l’horreur et à la profonde absurdité du fait, que c’est un mystère de la Providence qui s’accomplit.

Examinant donc la tactique qui préside aux batailles modernes, pour ne parler que de celles-ci, j’observe qu’on n’y découvre pas ce caractère de haute moralité, de conservation, partant de certitude, qui seul rend la guerre loyale et la victoire légitime. Je trouve même que, sous ce rapport, nous avons fait depuis deux siècles des pas rétrogrades. On n’est pas moins brave sans doute, mais, par des causes que j’expliquerai tout à l’heure, on se bat moins bravement ; on fait plus de mal à l’ennemi, grâce à la vio-