Page:Proudhon - Manuel du Spéculateur à la Bourse, Garnier, 1857.djvu/138

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spéculations n’ont pas pris la peine de faire un choix entre les titres des différentes compagnies qu’ils trouvaient sur la cote de la Bourse ; ils les ont tous acceptés sans distinction, les ont tous entourés de la même faveur, et sans se rendre compte de leur valeur réelle, ils en ont escompté l’avenir inconnu par des primes qu’ils réalisaient dans les quarante-huit heures.

« Les choses ont été ainsi pendant quelques mois ; bientôt les profits obtenus par les plus avisés au moyen de ces manœuvres leur ont suscité de nombreux concurrents, qui, trouvant la place prise, le marché des actions industrielles trop circonscrit, se sont jetés à corps perdu dans des opérations bien autrement aléatoires, en escomptant, achetant et vendant à prime, non plus des actions existantes, ayant une base certaine, mais des promesses d’actions, des certificats de souscription, — moins que cela même, — de simples paroles : car on a vendu, acheté et coté à 40 fr. de prime des titres d’une compagnie qui n’existe encore qu’en projet ; qui a reçu des demandes, mais qui n’a point encore ouvert de souscription et n’a même fait aucune réponse à ceux qui lui ont écrit pour prendre un intérêt dans l’opération qu’elle a en vue. »

Ainsi parlait le Journal des Chemins de fer du 28 décembre 1844. Il disait encore, le 2 août 1845 :

« Pour ne parler que d’une affaire récente, les récépissés de la compagnie Sellière pour les embranchements de Dieppe et de Fécamp sur le chemin de fer du Havre, l’agiotage a été poussé sur ces valeurs jusqu’à la frénésie. Les 36,000 actions représentant le capital de la compagnie, 18 millions, ont été vendues et achetées plusieurs fois dans la même semaine. Faut-il en conclure qu’acheteurs et vendeurs avaient une opinion différente de l’affaire ? Pas le moins du monde : le même joueur achetait et vendait dans la même Bourse, des actions qu’il ne possédait pas, qui n’existaient pas encore. Ainsi on vendait des récépissés à livrer aussitôt l’émission ; puis on vendait à terme des récépissés qu’on n’avait pas, qu’on n’entendait pas acheter. Il ne s’agissait que d’un échange d’engagements et de payements de différences. Mieux que tout cela : la plupart du temps, acheteurs et vendeurs ne connaissaient l’affaire que sous le nom de Dieppe a Fécamp ; c’est-à-dire que s’ils avaient essayé de se rendre compte de l’affaire sur laquelle ils jouaient, ils auraient dû croire, — et ils croyaient généralement, — qu’il s’agissait d’un chemin de fer de Dieppe à Fécamp : ce qui, soit dit en passant, eût été industriellement la chose la plus absurde. »