Page:Proudhon - Manuel du Spéculateur à la Bourse, Garnier, 1857.djvu/232

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là que l’exploitation du petit capitaliste par l’état-major se produit dans toute sa puissance, dans tout son cynisme.

Tant pis pour l’actionnaire ! direz-vous. N’est-il pas le mandant ? N’a-t-il pas le droit d’élection et de contrôle ? Qui l’empêche de destituer les forfaiteurs ?

En théorie, tout cela est superbe. Mais remarquez bien ceci : Pour faire partie de l’assemblée générale, il faut être possesseur d’un certain nombre d’actions ; les voix se comptent par actions et non par têtes ; la direction se compose des gros capitalistes ; leur prépondérance est d’autant mieux assurée, que l’insouciance des petits, leur ignorance en comptabilité et en administration les livrent pieds et poings liés. Ajoutez que la gent actionnaire en est encore à ce degré de béotisme, qu’il lui faut un homme, un nom illustre. — Une probité à l’épreuve, une expérience de longues années, l’esprit d’initiative, les plus éminentes qualités réunies en un individu sans renom dans le monde financier, n’attireront pas un écu. Le premier flibustier dont le nom, les titres et la fortune résonnent un peu haut, amènera jusqu’aux économies des portiers. Aussi y a-t-il des billets de banque pour les administrateurs, quand il n’y a pas seulement des centimes pour les actionnaires.

Demandez à un de ces prédestinés de la mystification anonyme, dont tout l’avoir, quelques maigres mille francs péniblement amassés, sont dans un chemin de fer, comment il se fait que sa compagnie, qui vient de payer 10 0/0 de dividende, soit obligée d’emprunter 20 millions. Il vous rira au nez. — Ha ! ha ! MM. X et Z qui sont à la tête s’y entendent ;puis ils sont trop riches pour être indélicats.

Où avions-nous lu que la confiance s’est retirée ?

De bons et candides rentiers vous disent, avec l’accent de la foi la plus béate : — Nous n’avons pas besoin de nous inquiéter ; ces messieurs du conseil sont plus gros actionnaires que nous ; ils ne manqueront pas de défendre leurs intérêts, et par conséquent les nôtres.

Braves gens qui raisonnez si juste, achetez un lopin de terre et plantez-y des choux ! mais ne mettez pas vos épargnes dans une société anonyme.