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Page:Proudhon - Manuel du Spéculateur à la Bourse, Garnier, 1857.djvu/28

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La Spéculation est productive encore dans les cas suivants :

Un ébéniste fait ouvrir une bille de palissandre ou d’acajou. Il l’a achetée, à ses risques et périls, 300 fr. Si le bois est sain, tant mieux pour lui ; s’il est gâté ou de qualité inférieure, tant pis. À mesure que le trait de scie avance, la sciure paraissant être de bon aloi, les chances d’un marché avantageux se changent en probabilités, mais pas encore en certitude. Un second ébéniste offre au premier 100 fr. de bénéfice et devient acquéreur. Le même jeu se répète avec d’autres avant que la bille soit entièrement refendue, en sorte que le dernier acheteur la paye 600 fr. La pièce de bois n’a pas doublé de valeur, sans doute ; mais elle a doublé de prix, et ce prix s’est réparti entre les différents propriétaires, depuis le premier vendeur jusqu’au dernier acheteur. Cette répartition est, au même titre que le transport ou l’échange, une production.

Un marchand de vin en gros, au lieu d’écouler sa marchandise au prix courant, la garde en cave jusqu’à ce que la tenue de la vigne fasse augurer favorablement ou défavorablement de la récolte pour l’année suivante. Vient une gelée qui compromet la pousse ; la grêle détruit les bourgeons ; la coulée emporte le dernier espoir du vigneron : le vin double de prix. Que signifie cela ? Que la consommation de l’année qui suit devra être en partie couverte par la récolte de celle qui précède, et qu’à défaut de la prévoyance publique, le spéculateur a pris sur lui d’y pourvoir. C’est donc un service qu’il rend tout en faisant fortune : son épargne devient pour tout le monde production. — Posons le cas contraire : la vendange s’annonce sous d’heureux auspices, et la récolte dépasse à la fin toutes les évaluations ; le prix des vins diminue de moitié. Le marchand perd dans la même proportion qu’il comptait gagner. Que s’est-il passé ? C’est que le négociant, en ajournant sa vente, a détruit non pas la moitié du vin qui était dans ses caves, mais la moitié de la valeur de ce vin, en le dérobant à la consommation qui le réclamait. Sans doute on peut regretter de voir le bien-être du peuple livré ainsi à l’arbitraire des spéculateurs : c’est une question à traiter à part. Mais autant il est vrai de dire qu’il y a eu