Page:Proudhon - Manuel du Spéculateur à la Bourse, Garnier, 1857.djvu/34

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vant que ses opérations paraissent plus ou moins avantageuses et plausibles, et qui, par l’importance de ses affaires, par la solidarité qu’ils imposent au pays, domine et gouverne le marché.

Un particulier se rend à la Bourse, le 4 1/2 étant à 90 fr. Il offre de livrer fin courant pour 100,000 fr. de rentes de cette valeur à 89 fr., c’est-à-dire qu’il parie, en se fondant sur n’importe quelles conjectures, que la rente 4 1/2, qui dans ce moment est à 90, sera descendue fin courant à 88. En conséquence, il s’engage à livrer à la même époque à 89 : différence, 1 fr., qui constitue le bénéfice de son pari. Certes, c’est déjà une chose profondément irrégulière, immorale, désastreuse ; une chose qui accuse à la fois l’organisation politique du pays, la moralité et la capacité du pouvoir, que cet enchaînement de la fortune et de la sécurité des citoyens aux décisions ministérielles, et cette assimilation des actes du souverain au tirage d’une loterie. Il est évident que de semblables paris, non-seulement ne contiennent en eux-mêmes aucun élément d’utilité, de productivité ou d’économie, mais qu’ils sont souverainement contraires à la tenue des opérations réelles, et destructifs de toute spéculation sérieuse.

Allons au fond, et nous découvrirons bientôt que ce pari, cette spéculation de Bourse, qui, abstraction faite des intérêts qu’elle compromet, pouvait jusqu’à certain point paraître innocente, n’est le plus souvent qu’une violation de la foi publique, un abus du secret de l’État, une trahison envers la société.

Un ministre, dont la fortune personnelle se compose de 50,000 livres de rentes en placement sur l’État, sait, de source certaine, qu’il existe entre le gouvernement dont il fait partie et une puissance étrangère telle difficulté diplomatique de laquelle sortira infailliblement une déclaration de guerre. Il met sa fortune à l’abri, en vendant à 92 des rentes qu’il sait devoir descendre dans cinq ou six semaines à 85. Un pareil acte, de la part d’un ministre, est une lâcheté, une désertion. Il fait plus : non content de sauver par une félonie ses propres capitaux, il joue à la baisse sous le cou-