Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/235

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nos passions et notre ignorance ; mais notre opposition à cette loi en fait ressortir de plus en plus la nécessité : c’est ce dont l’histoire rend un perpétuel témoignage, et que toute la suite des événements nous révèle. La société marche d’équation en équation ; les révolutions des empires ne présentent, aux yeux de l’observateur économiste, tantôt que la réduction de quantités algébriques qui s’entre-déduisent ; tantôt que le dégagement d’une inconnue, amené par l’opération infaillible du temps. Les nombres sont la providence de l’histoire. Sans doute le progrès de l’humanité a d’autres éléments ; mais dans la multitude des causes secrètes qui agitent les peuples, il n’en est pas de plus puissantes, de plus régulières, de moins méconnaissables, que les explosions périodiques du prolétariat contre la propriété. La propriété, agissant tout à la fois par l’exclusion et l’envahissement en même temps que la population se multiplie, a été le principe générateur et la cause déterminante de toutes les révolutions. Les guerres de religion et de conquête, quand elles n’allèrent pas jusqu’à l’extermination des races, furent seulement des perturbations accidentelles et bientôt réparées dans la progression toute mathématique de la vie des peuples. Telle est la puissance d’accumulation de la propriété, telle est la loi de dégradation et de mort des sociétés.

Voyez, au moyen âge, Florence, république de marchands et de courtiers, toujours déchirée par ses factions si connues sous les noms de Guelfes et de Gibelins, et qui n’étaient après tout que le petit peuple et l’aristocratie propriétaire armés l’un contre l’autre ; Florence, dominée par les banquiers, et succombant à la fin sous le poids des dettes[1] : voyez dans l’antiquité, Rome, dès sa naissance, dévorée par l’usure, florissante néanmoins tant que le monde connu fournit du travail à ses terribles prolétaires, ensanglantée par la guerre civile à chaque intervalle de repos, et mourant d’épuisement quand le peuple eut perdu, avec son ancienne énergie, jusqu’à la dernière étincelle de sens mo-

  1. « Le coffre-fort de Cosme de Médicis fut le tombeau de la liberté florentine, » disait au Collège de France M. Michelet.