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pères, les avocats des ignorants, les philosophes des hypocrites et des menteurs ; que le maître et l’esclave sont égaux, que l’usure et tout ce qui lui ressemble est un vol, que les propriétaires et les hommes de plaisir brûleront un jour, tandis que les pauvres de cœur et les purs habiteront un lieu de repos. Il ajoutait beaucoup d’autres choses non moins extraordinaires.

Cet homme, Parole de Dieu, fut dénoncé et arrêté comme ennemi public par les prêtres et les gens de loi, qui eurent même le secret de faire demander sa mort par le peuple. Mais cet assassinat juridique, en combattant la mesure de leurs crimes, n’étouffa pas la doctrine que Parole de Dieu avait semée. Après lui, ses premiers prosélytes se répandirent de tous côtés, prêchant ce qu’ils nommaient la bonne nouvelle, formant à leur tour des millions de missionnaires, et quand il semblait que leur tâche fût accomplie, mourant par le glaive de la justice romaine. Cette propagande obstinée, guerre de bourreaux et de martyrs, dura près de trois cents ans, au bout desquels le monde se trouva converti. L’idolâtrie fut détruite, l’esclavage aboli, la dissolution fit place à des mœurs plus austères, le mépris des richesses fut poussé quelquefois jusqu’au dépouillement. La société fut sauvée par la négation de ses principes, par le renversement de la religion, et la violation des droits les plus sacrés. L’idée du juste acquit dans cette révolution une étendue que jusqu’alors on n’avait pas soupçonnée, et sur laquelle les esprits ne sont jamais revenus. La justice n’avait existé que pour les maîtres[1] ; elle commença dès lors à exister pour les serviteurs.

Cependant la nouvelle religion fut loin de porter tous ses fruits. Il y eut bien quelque amélioration dans les mœurs publiques, quelque relâche dans l’oppression ; mais, du

  1. La religion, les lois, le mariage étaient les priviléges des hommes libres, et dans les commencements, des seuls nobles. Dii majorum gentium, dieux des familles patriciennes ; jus gentium, droit des gens, c’est-à-dire des familles ou des nobles. L’esclave et le plébéien ne formaient pas de famille ; leurs enfants étaient considérés comme je crois des animaux. Bêtes ils naissaient, bêtes ils devaient vivre.