Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 24 —

Autrefois la noblesse et le clergé ne contribuaient aux charges de l’État qu’à titre de secours volontaires et de dons gratuits ; leurs biens étaient insaisissables même pour dettes : tandis que le roturier, accablé de tailles et de corvées, était harcelé sans relâche tantôt par les percepteurs du roi, tantôt par ceux des seigneurs et du clergé. Le mainmortable, placé au rang des choses, ne pouvait ni tester ni devenir héritier ; il était de lui comme des animaux, dont les services et le croît appartiennent au maître par droit d’accession. Le peuple voulut que la condition de propriétaire fût la même pour tous ; que chacun pût jouir et disposer librement de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. Le peuple n’inventa pas la propriété ; mais comme elle n’existait pas pour lui au même titre que pour les nobles et les tonsurés, il décréta l’uniformité de ce droit. Les formes acerbes de la propriété, la corvée, la mainmorte, la maîtrise, l’exclusion des emplois ont disparu ; le mode de jouissance a été modifié : le fond de la chose est demeuré le même. Il y a eu progrès dans l’attribution du droit ; il n’y a pas eu de révolution.

Voilà donc trois principes fondamentaux de la société moderne, que le mouvement de 1789 et celui de 1830 ont tour à tour consacrés : 1o Souveraineté dans la volonté de l’homme, et, en réduisant l’expression, despotisme ; 2o Inégalité des fortunes et des rangs ; 3o Propriété : au-dessus de la Justice, toujours et par tous invoquée comme le génie tutélaire des souverains, des nobles et des propriétaires ; la Justice, loi générale, primitive, catégorique, de toute société.

Il s’agit de savoir si les concepts de despotisme, d’inégalité civile et de propriété, sont ou ne sont pas conformes à la notion primitive du juste, s’ils en sont une déduction nécessaire, manifestée diversement selon le cas, le lieu et le rapport des personnes ; ou bien s’ils ne seraient pas plutôt le produit illégitime d’une confusion de choses différentes, d’une fatale association d’idées. Et puisque la justice se détermine surtout dans le gouvernement, dans l’état des personnes et dans la possession des choses, il faut chercher,