Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/61

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clut droit à l’égalité ; car l’occupation étant une pure tolérance, si la tolérance est mutuelle, et elle ne peut pas ne pas l’être, les possessions sont égales.

Grotius se lance dans l’histoire ; mais d’abord, quelle façon de raisonner que de chercher l’origine d’un droit qu’on dit naturel ailleurs que dans la nature ? C’est assez la méthode des anciens : le fait existe, donc il est nécessaire, donc il est juste, donc ses antécédents sont justes aussi. Toutefois, voyons.

« Dans l’origine, toutes choses étaient communes et indivises ; elles étaient le patrimoine de tous… » N’allons pas plus loin : Grotius nous racontait comment cette communauté primitive finit par l’ambition et la cupidité, comment à l’âge d’or succéda l’âge de fer, etc. En sorte que la propriété aurait sa source d’abord dans la guerre et la conquête, puis dans des traités et des contrats. Mais, ou ces traités et ces contrats ont fait les parts égales, conformément à la communauté originelle, seule règle de distribution que les premiers hommes pussent connaître, seule forme de justice qu’ils pussent concevoir ; et alors la question d’origine se représente, comment, un peu plus tard, l’égalité a-t-elle disparu ? Ou bien ces traités et ces contrats furent imposés par la force et reçus par la faiblesse, et dans ce cas ils sont nuls, le consentement tacite de la postérité ne les valide point, et nous vivons dans un état permanent d’iniquité et de fraude.

On ne concevra jamais pourquoi l’égalité des conditions ayant été d’abord dans la nature, elle serait devenue par la suite un état hors nature. Comment se serait effectuée une telle dépravation ? Les instincts dans les animaux sont inaltérables aussi bien que les distinctions des espèces ; supposer dans la société humaine une égalité naturelle primitive, c’est admettre implicitement que l’inégalité actuelle est une dérogation faite à la nature de cette société, ce qui est inexplicable aux défenseurs de la propriété. Mais j’en conclus, moi, que si la Providence a placé les premiers humains dans une condition égale, c’était une indication qu’elle leur donnait elle-même, un modèle qu’elle voulait