Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/170

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manqué à cette multitude d’engins filateurs, le salaire dut nécessairement décroître ; la population qu’avaient appelée les machines, se trouva délaissée par les machines, et M. Dunoyer de dire alors : c’est l’abus du mariage qui est cause de la misère. Le commerce anglais, sollicité par son immense clientèle, appelle de tous côtés des ouvriers, et provoque au mariage ; tant que le travail abonde, le mariage est chose excellente, dont on aime à citer les effets dans l’intérêt des machines ; mais, comme la clientèle est flottante, dès que le travail et le salaire manquent, on crie à l’abus du mariage, on accuse l’imprévoyance des ouvriers. L’économie politique, c’est-à-dire le despotisme propriétaire, ne peut jamais avoir tort : il faut que ce soit le prolétariat.

L’exemple de l’imprimerie a été mainte fois cité, toujours dans une pensée d’optimisme. Le nombre de personnes que fait vivre aujourd’hui la fabrication des livres est peut-être mille fois plus considérable que ne l’était celui des copistes et enlumineurs avant Guttemberg ; donc, conclut-on d’un air satisfait, l’imprimerie n’a fait tort à personne. Des faits analogues pourraient être cités à l’infini, sans qu’un seul fût à récuser, mais aussi sans que la question fît un pas. Encore une fois, personne ne disconvient que les machines aient contribué au bien-être général : mais j’affirme, en regard de ce fait irréfragable, que les économistes manquent à la vérité lorsqu’ils avancent d’une manière absolue que la simplification des procédés n’a eu nulle part pour résultat de diminuer le nombre des bras employés à une industrie quelconque. Ce que les économistes devraient dire, c’est que les machines, de même que la division du travail, sont tout à la fois, dans le système actuel de l’économie sociale, et une source de richesse, et une cause permanente et fatale de misère.

« En 1836, dans un atelier de Manchester, neuf métiers, chacun de trois cent vingt-quatre broches, étaient conduits par quatre fileurs. Dans la suite on doubla la longueur des chariots, et l’on fit porter à chacun six cent quatre-vingts broches, et deux hommes suffirent à les diriger. »

Voilà bien le fait brut de l’élimination de l’ouvrier par la machine. Par une simple combinaison, trois ouvriers sur quatre sont évincés ; qu’importe que dans cinquante ans, la