Mais cette disproportion paraîtra encore plus choquante, si l’on réfléchit que le calcul que nous venons de faire sur la classe électorale est tout à fait erroné, tout en faveur des censitaires.
En effet, les seuls impôts qui soient comptés pour la jouissance du droit électoral sont : 1o la contribution foncière ; 2o la personnelle et mobilière ; 3o les portes et fenêtres ; 4o la patente. Or, à l’exception de la personnelle et mobilière qui varie peu, les trois autres impôts sont rejetés sur les consommateurs ; et il en est de même de tous les impôts indirects, dont les détenteurs de capitaux se font rembourser par les consommateurs, à l’exception toutefois des droits de mutation qui frappent directement le propriétaire, et s’élèvent en totalité à 150 millions. Or, si nous estimons que la propriété électorale figure dans cette dernière somme pour un sixième, ce qui est beaucoup dire, la portion de contributions directes (409 millions) étant par tête de 12 fr., celle des contributions indirectes (547 millions) 16 fr., la moyenne d’impôt payée par chaque électeur ayant un ménage composé de cinq personnes, sera au total de 265 fr., pendant que la part de l’ouvrier, qui n’a que sa brasse pour se nourrir, lui, sa femme et deux enfants, sera de 112 fr. — En termes plus généraux, la moyenne de contribution par tête dans la classe supérieure sera de 53 fr. ; dans la classe inférieure, de 28. Sur quoi je renouvelle ma question : Le bien-être est-il, en deçà du cens électoral, la moitié de ce qu’il est au delà ?
Il en est de l’impôt comme des publications périodiques, qui coûtent en réalité d’autant plus cher, qu’elles paraissent plus rarement. Un journal quotidien coûte 40 fr., un hebdomadaire 10 fr., un mensuel 4 fr. Toutes choses d’ailleurs supposées égales, les prix d’abonnement de ces journaux sont entre eux comme les nombres 40, 70 et 120, la cherté croissant avec la rareté des publications. Or, telle est précisément la marche de l’impôt : c’est un abonnement payé par chaque citoyen en échange du droit de travailler et de vivre. Celui qui use de ce droit dans la moindre proportion, paye davantage ; celui qui en use un peu plus, paye moins ; celui qui en use beaucoup, paye peu.
Les économistes sont généralement d’accord de tout cela.