nations n’ayant pas aperçu de prime-abord la contradiction intime du prêt à intérêt, le salarié, au lieu de relever directement de lui-même, devait dépendre d’un patron, comme l’homme d’armes appartenait au comte, comme la tribu était au patriarche. Cette constitution était nécessaire, et, jusqu’au moment où s’établirait l’égalité complète, pouvait suffire au bien-être de tous. Mais lorsque le maître, dans son égoïsme désordonné, a dit au serviteur : Tu n’auras point de part avec moi, et lui a ravi du même coup travail et salaire, où est la fatalité, où est l’excuse ? Faudra-t-il encore, pour justifier l’appétit concupiscible, nous rejeter sur l’appétit irascible ? Prenez garde : en reculant pour justifier l’être humain dans la série de ses convoitises, au lieu de sauver sa moralité, vous la livrez. Je préfère, quant à moi, l’homme coupable à l’homme bête féroce.
La nature a fait l’homme sociable : le développement spontané de ses instincts tantôt fait de lui un ange de charité, tantôt lui ravit jusqu’au sentiment de la fraternité et à l’idée de dévouement. Vit-on jamais un capitaliste, fatigué de gain, conspirer pour le bien général, et faire de l’émancipation du prolétariat sa dernière spéculation ? Il est force gens, favoris de la fortune, à qui rien ne manque plus que la couronne de bienfaisance : or, quel épicier, devenu riche, se met à vendre à prix coûtant ? quel boulanger, quittant les affaires, abandonne sa clientèle et son établissement à ses garçons ? quel pharmacien, en guise de retraite, livre ses drogues pour ce qu’elles valent ? Quand la charité a ses martyrs, comment n’a-t-elle pas ses amateurs ? S’il se formait tout à coup un congrès de rentiers, de capitalistes et d’entrepreneurs à la réforme, mais propres encore au service, pour remplir gratuitement un certain nombre d’industries, la société en peu de temps se réformerait de fond en comble. Mais travailler pour rien !… c’est le propre des Vincent de Paul, des Fénelon, de tous ceux dont l’âme fut toujours détachée et le cœur pauvre. L’homme enrichi par le gain sera conseiller municipal, membre du comité de bienfaisance, officier des salles d’asile ; il remplira toutes les fonctions honorifiques, hormis précisément celle qui serait efficace, mais qui répugne à ses habitudes. Travailler sans es-