poir de profit ! cela ne se peut, puisque ce serait se détruire. Il le voudrait peut-être ; il n’en a pas le courage. Video meliora proboque, deteriora sequor. Le propriétaire en retraite est vraiment ce hibou de la fable ramassant des faînes pour ses souris mutilées, en attendant qu’il les croque. Faut-il accuser encore la société de ces effets d’une passion si longtemps, si librement, si pleinement assouvie ?
Qui donc expliquera ce mystère d’un être multiple et discordant, capable à la fois des plus hautes vertus et des plus effroyables crimes ? Le chien lèche son maître qui le frappe ; parce que la nature du chien est la fidélité, et que cette nature ne le quitte jamais. L’agneau se réfugie dans les bras du berger qui l’écorche et le mange ; parce que le caractère inséparable de la brebis est la douceur et la paix. Le cheval s’élance à travers la flamme et la mitraille, sans toucher de ses pieds rapides les blessés et les morts gisant sur son passage ; parce que l’âme du cheval est inaltérable dans sa générosité. Ces animaux sont martyrs pour nous de leur nature constante et dévouée. Le serviteur qui défend son maître au péril de ses jours, pour un peu d’or le trahit et l’assassine ; la chaste épouse souille son lit pour un dégoût ou une absence, et dans Lucrèce nous trouvons Messaline ; le propriétaire, tour à tour père et tyran, remonte et restaure son fermier ruiné, et répudie de ses terres sa famille trop nombreuse, accrue sous la foi du contrat féodal ; l’homme de guerre, miroir et parangon de chevalerie, se fait des cadavres de ses compagnons un marche-pied à l’avancement. Epaminondas et Régulus trafiquent du sang de leurs soldats : que de preuves m’en ont passé sous les yeux ! et par un contraste horrible, la profession du sacrifice est la plus féconde en lâcheté. L’humanité a ses martyrs et ses apostats : à quoi faut-il, encore une fois, que j’attribue cette scission ?
À l’antagonisme de la société, dites-vous toujours ; à l’état de séparation, d’isolement, d’hostilité avec ses semblables, dans lequel l’homme jusqu’à présent a vécu ; en un mot, à cette aliénation de son cœur, qui lui a fait prendre la jouissance pour l’amour, la propriété pour la possession, la peine pour le travail, l’ivresse pour la joie ; à cette fausse conscience enfin, dont le remords n’a cessé de le poursuivre sous