Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/390

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et les tortures de Galilée, et le martyre de tant de libres penseurs ?… Ne venez pas distinguer ici entre l’usage et l’abus : car je vous répliquerais que d’un principe mystique et surnaturel, d’un principe qui embrasse tout, qui explique tout, qui justifie tout, comme l’idée de Dieu, toutes les conséquences sont légitimes, et que le zèle du croyant est seul juge de l’à-propos.

« J’ai cru autrefois, dit Rousseau, que l’on pouvait être honnête homme et se passer de Dieu : mais je suis revenu de cette erreur. » Même raisonnement au fond que celui de Voltaire, même justification de l’intolérance : L’homme fait le bien et ne s’abstient du mal que par la considération d’une Providence qui le surveille : anathème à ceux qui la nient ! Et, pour comble de déraison, le même homme qui réclame ainsi pour notre vertu la sanction d’une Divinité rémunératrice et vengeresse, est aussi celui qui enseigne comme dogme de foi la bonté native de l’homme.

Et moi je dis : le premier devoir de l’homme intelligent et libre est de chasser incessamment l’idée de Dieu de son esprit et de sa conscience. Car Dieu, s’il existe, est essentiellement hostile à notre nature, et nous ne relevons aucunement de son autorité. Nous arrivons à la science malgré lui, au bien-être malgré lui, à la société malgré lui : chacun de nos progrès est une victoire dans laquelle nous écrasons la Divinité.

Qu’on ne dise plus : les voies de Dieu sont impénétrables ! Nous les avons pénétrées ces voies, et nous y avons lu en caractère de sang les preuves de l’impuissance, si ce n’est du mauvais vouloir de Dieu. Ma raison, longtemps humiliée, s’élève peu à peu au niveau de l’infini ; avec le temps elle découvrira tout ce que son inexpérience lui dérobe ; avec le temps je serai de moins en moins artisan de malheur, et par les lumières que j’aurai acquises, par le perfectionnement de ma liberté, je me purifierai, j’idéaliserai mon être, et je deviendrai le chef de la création, l’égal de Dieu. Un seul instant de désordre, que le Tout-puissant aurait pu empêcher et qu’il n’a pas empêché, accuse sa providence et met en défaut sa sagesse : le moindre progrès que l’homme, ignorant, délaissé et trahi, accomplit vers le bien, l’honore sans mesure. De