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Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/389

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Lorsque les théistes, pour établir leur dogme de la Providence, allèguent en preuve l’ordre de la nature ; bien que cet argument ne soit qu’une pétition de principe, du moins on ne peut dire qu’il implique contradiction, et que le fait allégué dépose contre l’hypothèse. Rien, par exemple, dans le système du monde, ne découvre la plus petite anomalie, la plus légère imprévoyance, d’où l’on puisse tirer un préjugé quelconque contre l’idée d’un moteur suprême, intelligent personnel. En un mot, si l’ordre de la nature ne prouve point la réalité d’une Providence, il ne la contredit pas.

C’est tout autre chose dans le gouvernement de l’humanité. Ici, l’ordre n’apparaît pas en même temps que la matière ; il n’a point été, comme dans le système du monde, créé une fois et pour l’éternité. Il se développe graduellement selon une série fatale de principes et de conséquences que l’être humain lui-même, l’être qu’il s’agissait d’ordonner, doit dégager spontanément, par sa propre énergie, et à la sollicitation de l’expérience. Nulle révélation à cet égard ne lui est donnée. L’homme est soumis, dès son origine, à une nécessité préétablie, à un ordre absolu et irrésistible. Mais cet ordre, il faut, pour qu’il se réalise, que l’homme le découvre ; cette nécessité, il faut, pour qu’elle existe, qu’il la devine. Ce travail d’invention pourrait être abrégé : personne, ni dans le ciel, ni sur la terre, ne viendra au secours de l’homme ; personne ne l’instruira. L’humanité, pendant des centaines de siècles, dévorera ses générations ; elle s’épuisera dans le sang et la fange, sans que le Dieu qu’elle adore vienne une seule fois illuminer sa raison et abréger son épreuve. Où est ici l’action divine ? où est la providence ?

« Si Dieu n’existait pas, c’est Voltaire, l’ennemi des religions, qui parle, il faudrait l’inventer. » — Pourquoi ? — « Parce que, ajoute le même Voltaire, si j’avais affaire à un prince athée qui aurait intérêt à me faire piler dans un mortier, je suis bien sûr que je serais pilé. » Étrange aberration d’un grand esprit ! Et si vous aviez affaire à un prince dévot, à qui son confesseur commanderait, de la part de Dieu, de vous brûler vif, ne seriez-vous pas bien sûr aussi d’être brûlé ? Oubliez-vous donc, vous antechrist, l’inquisition, et la Saint-Barthélemi, et les bûchers de Vanini et de Bruno,