la marche ordinaire de ses idées, que le sentiment en Dieu, de même que la science, est infini.
Or, cela seul suffit pour changer en Dieu la qualité du sentiment, et en faire un attribut totalement distinct de celui de l’homme. Dans l’homme, le sentiment coule, pour ainsi dire, de mille sources diverses : il se contredit, il se trouble, il se déchire lui-même ; sans cela il ne se sentirait pas. En Dieu, au contraire, le sentiment est infini, c’est-à-dire un, plein, fixe, limpide, au-dessous des orages, et n’ayant aucun besoin de s’irriter par le contraste pour arriver au bonheur. Nous faisons nous-mêmes l’expérience de ce mode divin de sentir, lorsqu’un sentiment unique ravissant toutes nos facultés, comme dans l’extase, impose momentanément silence aux autres affections. Mais ce ravissement n’existe toujours qu’à l’aide du contraste et par une sorte de provocation venue d’ailleurs : il n’est jamais parfait, ou s’il arrive à la plénitude, c’est comme l’astre qui atteint son apogée, en un instant indivisible.
Ainsi, nous ne vivons, ne sentons, ne pensons, que par une série d’oppositions et de chocs, par une guerre intestine ; notre idéal n’est donc pas un infini, c’est un équilibre ; l’infini exprime autre chose que nous.
On dit : Dieu n’a pas d’attributs qui lui soient propres ; ses attributs sont ceux de l’homme ; donc l’homme et Dieu, c’est une seule et même chose.
Tout au contraire, les attributs de l’homme étant infinis en Dieu, sont par là même propres et spécifiques : c’est le caractère de l’infini de devenir spécialité, essence, par cela que le fini existe. Qu’on nie donc la réalité de Dieu, comme on nie la réalité d’une idée contradictoire ; qu’on repousse de la science et de la morale ce fantôme insaisissable et sanglant qui, plus il s’éloigne, plus il semble nous poursuivre ; cela peut jusqu’à certain point se justifier, et dans tous les cas ne peut nuire. Mais qu’on ne fasse pas de Dieu l’humanité, parce que ce serait calomnier l’un et l’autre.
Dira-t-on que l’opposition entre l’homme et l’être divin est illusoire, et qu’elle provient de l’opposition qui existe entre l’homme individuel et l’essence de l’humanité tout entière ? Alors il faut soutenir que l’humanité, puisque c’est